Pavement


Les chemins de traverse




En quelques années, PAVEMENT est devenu l’un des groupes les plus appréciés du circuit indépendant. Après quelques singles et un mini-LP inaboutis mais prometteurs, Stephen Malkmus et sa chouette bande de potes créent l’événement en 1992 avec leur premier album Slanted and enchanted.
Dans la lignée du Velvet Underground, de Pere Ubu ou de The Fall, Pavement trouve le juste équilibre entre l’expérimentation et la simplicité, la profondeur et l’immédiateté. Ce coup de maître sera suivi deux ans plus tard de Crooked rain crooked rain, à l’écriture un peu plus classique, se rapprochant parfois de la pop et de la country. On pourrait être alors tenté de voir en Wowee Zowee, la livraison 95, une synthèse des différentes facettes de Pavement : fiévreux (Serpentine pad), mélancolique (We dance), psychotique (Fight this generation), cool (Grave architecture), “pavementien”(Kennel district)...
En l’absence de ses camarades, c’est l’affable Bob Nastanovitch, élément indispensable au bon (dés)équilibre du groupe (éructations, deuxième batterie, instruments non identifiés...), qui fait le point sur l’un des parcours les plus passionnants de cette demi-décennie rock.




Vous semblez affectionner un certain mystère : dans les titres de vos chansons, les paroles, même les pochettes...
A la base, nous trouvons surtout amusant de dérouter ainsi les gens. Nous aimons tous les puzzles, les mots croisés... Cet aspect mystérieux provoque une certaine fascination et nous permet de nous préserver. L’un des grands buts du groupe, c’est que les textes soient un peu difficiles à déchiffrer. Les gens qui y prêtent attention sont souvent intrigués, ils se demandent quelle est la signification exacte. C’est une sorte de puzzle interactif.

Sur Wowee Zowee, on trouve des morceaux très courts et agressifs. Y avait-il une volonté de revenir au son de vos premiers singles ?
Je ne crois pas que c’était réfléchi. Nous aimons toujours le punk-rock, nous écoutons beaucoup de groupes de la fin des années 70 et de la première moitié des années 80. C’est une part très importante de nos goûts musicaux. Et en concert, c’est agréable d’avoir une large gamme de tempos différents. Nous trouvons plus excitant de jouer des chansons comme Flux=rad ou Serpentine pad, tout en sachant que nous en avons d’autres plus douces. Ainsi, on ne tombe pas dans la routine, on continue à se faire plaisir. Mais il n’y avait pas vraiment un désir de retourner à nos racines. C’est surtout que nous trouvons de l’intérêt à jouer une musique que nous aimons toujours.




Le son de Crooked rain... était plus policé.
C’était dû aux conditions d’enregistrement. Crooked rain a été enregistré à New York, dans un studio qui sentait le renfermé, pendant plus de trois mois, mais avec cinq ou six heures d’enregistrement par semaine. C’est certainement l’album de Pavement le plus guindé, le plus raide. En revanche, Wowee Zowee a été réalisé très rapidement, à Memphis. Nous étions familiarisés avec la plupart des chansons avant d’entrer en studio, nous les avions jouées tout au long de l’année 1994. Tout le monde était relaxé, à l’aise.

Grave architecture me rappelle Babies, de Pulp...
Pulp, le groupe de Sheffield ? Ils ont eu un gros hit... J’ai vu le clip à la télé, c’est vraiment très bien. Grave architecture est ma chanson préférée de l’album. Une chanson légère, que nous aimons beaucoup jouer sur scène. Mais pour en revenir au morceau de Pulp auquel tu faisais allusion, je ne l’ai jamais entendu ! (rires)




Que penses-tu des groupes américains politisés, tels Rage Against The Machine, Downset, A Subtle Plague ?
Nous avons tous des convictions politiques dans le groupe, nous sommes tous actifs. Mais nous ne nous sentons pas obligés d’exprimer nos vues dans nos chansons. Nous sommes d’accord pour jouer dans des benefits pour des bonnes causes, nous l’avons fait à quelques reprises ces dernières années. D’ailleurs, pas assez à notre goût ; nous aimerions en faire plus. Mais il faut vraiment être à l’aise pour faire de la politique un élément à part entière de sa musique. Certains y sont très bien arrivés au cours des quinze dernières années : The Ex aux Pays-Bas, The Minutemen aux USA, qui avaient un discours très intéressant - d’extrême-gauche, évidemment - , sont ceux qui me viennent immédiatement à l’esprit, mais il y en a d’autres. Chumbawumba est un très bon groupe politisé. Si les personnes sont vraiment intelligentes, si elles peuvent ouvrir les esprits, amener les gens à s’intéresser à la politique, c’est très bien.




Beaucoup vous considèrent comme des slackers, des j’m’enfoutistes. Cette image est-elle juste ?
Non, pas vraiment. Tous les cinq, nous éprouvons des émotions, nous sommes préoccupés par beaucoup de choses. Nous avons conscience de l’importance du groupe. Je crois que les journalistes de la presse musicale ont une idée fausse de plus de la moitié des groupes dont ils parlent. Nous estimons beaucoup plus nos fans, qui achètent nos disques et viennent nous voir en concert. Pavement est comme les autres groupes. Certains pensent que nous sommes des fainéants, toujours assis à fumer de l’herbe, mais c’est faux. Nous travaillons beaucoup. Même si nous savons aussi nous amuser.

Pourquoi rester sur Big Cat ?
Le label a la taille idéale pour nous. J’aime beaucoup le label Drag City, nous avons des liens très étroits, mais il serait trop petit pour Pavement. Big Cat a toujours fait du très bon travail pour nous. En fait, si nous n’allons pas sur une major, c’est que nous n’en éprouvons pas un besoin impérieux. C’est mieux d’être sur un label où tu as des amis que de travailler pour un groupe de gens que tu n’avais jamais vus avant. Nous ne nous sentons pas très à l’aise avec leur conception du music-business. Nous préférons donc être sur un petit label, d’autant que nous sommes l’un des groupes les plus importants sur Big Cat. Tout se passe bien, nous n’avons donc pas de raisons de partir.




Le groupe n’a pas besoin d’énormément d’argent pour exister...
Non, effectivement. Nous faisons tout au moindre coût. Nous n’avons pas de management. Aux Etats-Unis, nous tournons juste avec un van, dormons dans de petits hôtels. Nous n’avons besoin de rien de plus. Je recommande aux groupes d’agir ainsi, de dépenser le moins d’argent possible. Pavement est vraiment bon marché ! (rires)

C’est la raison de votre indépendance ?
Oui, en partie sans doute. Avant que le groupe marche, nous travaillions tous et économisions beaucoup. Nous n’avons jamais eu besoin d’emprunter de l’argent pour les clips ou l’enregistrement des disques.




Vos side-bands (Silver Jews avec David Berman pour Bob et Steven, Free Kitten avec Kim Gordon de Sonic Youth pour Mark) sont-ils essentiels à l’équilibre du groupe ?
Les Silver Jews sont vraiment importants pour Steven et moi - et également pour notre batteur Steve West, qui a participé à quelques morceaux. David Berman est l’un de nos meilleurs amis. C’est un très très bon auteur de chansons, et aussi un grand fan de musique. C’est donc une bonne occasion d’aider quelqu’un que nous apprécions. Ca ne nous prend pas plus d’une douzaine de jours par an. David n’aime pas jouer sur scène, faire des tournées. D’une certaine manière, c’est mieux pour nous; nous ne sommes qu’un groupe de studio. Nous voudrions d’ailleurs enregistrer plus de disques. Quant à Mark, il aime beaucoup jouer avec Free Kitten, il adore Kim et Julie (Cafritz), et il apprécie particulièrement quand Yoshimi, des Boredoms (groupe bruitiste japonais) joue avec eux. Il prend vraiment son pied avec ce groupe. Mais je ne pense pas qu’il se considère comme un membre vital de Free Kitten, qui de toutes façons n’est pas un groupe extrêmement sérieux (sourire). Il joue avec elles quand il le peut.

Le son des Silver Jews est assez proche de celui de Pavement...
On peut dire que chacun des deux groupes influence l’autre. Les deux songwriters, David et Steven, s’influencent l’un l’autre. David influence Steven au niveau des paroles et Steven influence David au niveau de la musique. Je les connais tous les deux depuis huit ou neuf ans et j’ai beaucoup de respect pour eux. Pavement est plus un groupe de changements et de défis que les Silver Jews, où c’est le texte qui prime. Nous écrivons la chanson autour des paroles de David.




As-tu écouté l’album de votre ex-batteur Gary Young, Hospital ?
Oui, j’aime beaucoup ce disque - du moins, une demi-douzaine de chansons -, parce que pour moi c’est du pur Gary. J’ai du mal à imaginer comment les autres personnes peuvent appréhender l’album (rires). Ils doivent penser que c’est un type étrange... En fait, j’aime ce disque parce que je connais bien Gary, et je comprends que des gens puissent ne pas apprécier ses morceaux.

Et la cover de Here par les Tindersticks ?
Oui ! Très bonne. Je les aime beaucoup et de leur part, c’est un grand compliment. Here est une excellente chanson que j’aimerais jouer plus souvent, d’autant qu’elle est facile à interpréter. Et elle se prête bien au propre style des Tindersticks. C’était donc un bon choix.




Here était sur la B.O. du film de Hal Hartley, Amateur.
Une très bonne B.O... Je n’ai pas eu l’occasion de voir le film. J’habite le Kentucky, où le bon cinéma n’est guère montré. Je louerai la cassette. En tout cas nous étions très heureux de participer à la B.O. d’un film de ce genre. Ce pourrait aussi être intéressant de composer une véritable musique de film. Mais toutes les propositions sont adressées à Steven, c’est lui qui décide. Généralement, je suis le dernier à être au courant de ce genre de choses (rires).

Comme Mercury Rev, vous avez été loués par la presse anglaise alors que votre attitude très décontractée et désinvolte est à l’opposé de celle de la plupart des groupes britanniques...
C’était surtout vrai en 1992. Maintenant, je doute qu’ils s’intéressent encore beaucoup aux groupes américains. ils préfèrent parler de leurs compatriotes : Blur, Oasis... Ce n’est pas plus mal car les gamins anglais qui achètent chaque semaine le NME ou le Melody Maker peuvent ainsi lire des articles sur les groupes de leur pays. Mais il y a autant de bons groupes anglais et américains aujourd’hui qu’il y a trois ou quatre ans.




Qu’écoutes-tu en ce moment, à part les groupes Big Cat ?
De la dance-music très “space”. Je me suis procuré par notre tour-manager des cassettes réalisées pour des DJs du Nord de l’Angleterre. J’essaie d’en trouver le plus possible. C’est une musique très calme, mélodieuse, qu’on ne retrouve pas vraiment aux Etats-Unis. Ca me repose des guitares et de la batterie !

Mais encore ?
Vic Chesnutt est très bon. J’aimerais beaucoup le voir sur scène. Malheureusement, là où je vis, il y a peu de concerts et aucun bon magasin de disques. Depuis que j’ai quitté New York, je suis un peu déphasé (rires). Mark et Steven, qui y sortent quatre ou cinq soirs par semaine, seraient mieux placés pour te parler de nouveaux groupes intéressants.




Tu apprécies ta vie dans le Kentucky ?
Oui, absolument. C’est beaucoup plus calme que quand j’étais conducteur de bus à New York. Je jardine, je cuisine, je fais le ménage alors que ma copine travaille. Je suis une sorte de femme au foyer (rires). C’est un mode de vie très sain, que j’espère mener le plus longtemps possible. J’habite quand même une ville de 250000 habitants, avec de la criminalité, des gratte-ciel. L’équivalent d’une ville française de taille moyenne, sans doute. Mais je trouve beaucoup plus raisonnable de vivre là-bas qu’à New York, financièrement parlant. Dans quelques jours, je serai de retour. Je suis content à l’idée de retrouver ma maison. Les autres ne me manqueront pas ; nous venons de passer plusieurs mois ensemble sur la route. J’apprécie d’être à l’étranger, mais il faut bien rentrer chez soi pour recharger ses batteries !



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