Lotion


Entropie Pop
Rob Youngberg, Bill et Jim Ferguson et Tony Zajkowski sont décontractés et sympathiques, quoiqu’un peu agaçants parfois. Bref, new-yorkais. Comme beaucoup de gens, après tout. Ce qui est moins courant, en revanche, c’est qu’ils qualifient leur groupe LOTION de “pop-band”, ce qui en fait presque un cas unique dans une ville inspirant généralement des musiques plus dures. Le groupe a véritablement pris son envol l’année dernière, avec l’album Full Isaac et le ep Around, loués par la presse anglo-saxonne.
Confirmation cette année avec leur deuxième LP, le brillantissime Nobody’s cool, soit une bonne dizaine de mélodies imparables, alternant riffs carrés (évoquant un Sugar édulcoré) et arpèges mélancoliques (The enormous room, sublime). Lotion y ajoute quelques indispensables détails “arty”, typiquement new-yorkais : légères dissonances et arrangements bizarres, artwork soigné et mystérieux, notes de pochette signées Thomas Pynchon, le pape de l’entropie (grandeur thermodynamique caractérisant la dégradation énergétique et le désordre d’un système) métaphorique, figure mythique de la littérature américaine. Si l’on ajoute que le groupe est aussi convaincant sur scène - nervosité, concision, énergie - , on voit mal comment on pourrait à l’avenir se passer de cette Lotion magique.



Vous vous décrivez comme le seul groupe pop new-yorkais...
Tony - Oui, incontestablement, nous faisons de la pop. La ville est plus connue pour produire une musique dans le genre de Sonic Youth, assez avant-gardiste... En fait, je ne pense pas que nous soyons le seul groupe pop new-yorkais, mais nous sommes les seuls à le revendiquer. C’est la musique que nous aimons et, manifestement, que nous essayons de faire. Mais on ne prête plus vraiment attention à ces questions de style ; si tu composes couplet-refrain-couplet-refrain-break-couplet-refrain, c’est une popsong, basée sur le mélodie. Et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose.

Qu’est-ce que c’est, pour vous, la pop ? Les Beatles, les Smiths, Big Star ?
J’aime beaucoup tous ces groupes. Mais je ne pense pas que nous faisons forcément de la musique dans le même style qu’eux. La nôtre ne s’inspire pas seulement de celle d’anciens groupes pop, mais aussi du hip-hop, du rap, autant que de la house ou du heavy metal... et des Beatles.




Pouvez-vous nous parler de Thomas Pynchon ?
Tous, simultanément - C’est un type charmant ! Et très solitaire, reclus.
Rob - Nous l’avons rencontré dans un bar.
Tony - Nous lui avons demandé s’il voulait faire quelque chose avec nous. Il aimait bien notre disque, nous lui avons donc proposé d’écrire nos notes de pochette et il était d’accord. Nous lui avons alors demandé si nous pouvions nous charger de l’illustration, de l’artwork de son nouveau roman (ndlr - le design des pochettes de Lotion est signé... NO-IT-OL - bref, les mêmes) et il nous a dit “pas de problème”. C’est vraiment quelqu’un de bien.

Vous partagez sa vision très personnelle des Etats-Unis ?
Tous - Oui !
Tony - Elle est très juste (rires). J’aime bien aussi ses phrases interminables, ses listes. Et c’est très amusant de parler avec lui, il est aussi intelligent qu’on le pense. On passe du bon temps.



Il aime vraiment la pop ?
Tony - Il aime surtout la musique des années 50 et 60, c’est plus son époque. Il était très intéressé par ce que nous faisions, il est venu voir le studio, des choses dont il ignorait tout. Il a été très étonné de voir comment se faisait un disque.
Rob - Il n’a pas écouté de nouvelle musique depuis vingt ans. Il n’achète jamais de nouveautés. Nous l’avons probablement amené vers la musique actuelle.
Tony - Nous espérons que dans son prochain livre, il y aura des personnages faisant partie d’un groupe, des scènes se passant dans un studio d’enregistrement, dans le milieu de la pop music.

Quand pensez-vous qu’il sortira ? Dans dix, vingt ans ?
Rob - Disons, dans trois ou quatre ans. Ce n’est qu’une nouvelle (rires).

Pourquoi ce nom très basique, Lotion ?
Tony - Comme nos paroles et notre musique sont assez vagues, qu’elles ne se rapportent pas à des choses très précises, il fallait un nom assez neutre, sur lequel on ne puisse rien plaquer. LOTION sonne bien, c’est court et c’est joli en gros caractères, très symétrique avec les deux 0, le L et le N carrés, le T et le I vertaicaux. Du point de vue de designers, c’est un excellent nom.




Vous vous sentez proches de groupes américains ?
Oui, surtout à New York où il y a une band-culture. Tous nos amis jouent dans des groupes. On se soutient mutuellement, nous avons beaucoup d’amis fans de notre musique. Nous nous entendons vraiment bien avec les autres musiciens, surtout lors de cette tournée.
Rob - Nous nous connaissions déjà avant.
Tony - Effectivement, nous avions rencontré les autres brièvement, notamment Grasshopper, le guitariste de Mercury Rev, ainsi que Shudder to think et Blumfeld, avec qui nous avons joué deux ou trois fois. Mais maintenant que nous sommes tous devenus amis, il va falloir nous séparer la semaine prochaine. Pffuuii... (rires).

Vous êtes quasiment inconnus en France...
Tony - C’est vrai, mais c’est bien. Ce n’est pas comme Pavement, qui ont sans doute plus de pression. Pour nous, il s’agit presque de vacances en France.
Bill - Notre nouveau disque n’est pas encore sorti ici. Les gens ne risquent donc pas d’avoir déjà entendu parler de nous. C’est une bonne situation, finalement.



Vous sentez-vous proches d’un groupe comme Unrest qui, dans ses derniers albums, faisait de la pop avec un arrière-plan “arty” ?
Tony - Je connais ce qu’ils font. Oui, nous nous sentons proches de leur style.
Bill - S’il n’y avait qu’un songwriter dans le groupe, nous pourrions jouer ce genre de musique. Mais nous ne nous mettons jamais d’accord sur une idée bien précise de la musique. Leur démarche de “pop intellectuelle” était intéressante, mais je dois quand même avouer que ça manquait parfois un peu d’âme. Nous, nous essayons d’arriver à un équilibre entre spontanéité et intellect.

Que pensez-vous du retour de l’ordre moral aux Etats-Unis ?
C’est que des conneries, il ne faut pas y croire. Ceci dit, nous ne sommes pas conservateurs.
Tony - C’est un cycle, qui revient sans cesse. On se fait baiser par les conservateurs, qui abandonnent le pouvoir aux libéraux qui nous baisent à leur tour, et ainsi de suite. Ce sont les mêmes personnes, seul diffère le degré de libéralité.



Bill - La musique a toujours été meilleure sous des gouvernements républicains. Quand Carter était président, le meilleur groupe qu’on avait, c’était Fleetwood Mac. Avec l’arrivée de Reagan au pouvoir, des groupes de punk-rock géniaux sont apparus partout. Ils se disaient : “si je ne le fais pas maintenant, je n’en aurai plus jamais l’occasion.” De toute façon, quel que soit le gouvernement, il n’y a jamais de changements fondamentaux. Conservateurs ou libéraux, ils se contentent de laisser les choses comme ils les ont trouvées, en limitant les dégâts. Je ne me sens pas très concerné. Les gens sont si apathiques vis-à-vis de la politique aux Etats-Unis... Si l’on veut vraiment avoir le contrôle, il faut être quelqu’un qui gagne de l’argent et qui, ainsi, devient important; Finalement, on ne parle pas beaucoup de politique. Personnellement, je ne dirai jamais à personne ce qu’il doit penser. Il n’a qu’à réfléchir par lui-même.




Les Etats-Unis sont un pays plus violent que la France...
Est-ce bien certain ? Je pense que oui, mais l’Amérique a son histoire, c’est ce qui la rend si attrayante. A NY, les gens sont violents, mais plutôt moins qu’ailleurs. Ils sont si occupés qu’ils n’ont pas le temps de se battre. C’est plutôt : “OK, prends mon fric, mais dépêche-toi, je suis pressé.” On n’a pas le temps d’être violent à NY. Au centre des USA, les gens le sont parce qu’ils n’ont rien à faire. A part regarder la télé.




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