Morrissey
Sing your life




La simple évocation du nom de MORRISSEY a toujours déchaîné les passions. Déifié par certains, ridiculisé par d’autres, il n’a jamais laissé indifférent et, depuis plus de dix ans, il mène une carrière étrange mais savamment orchestrée. De 1984 à 1987, MORRISSEY enregistre quatre albums avec les défunts SMITHS et l’on découvre alors un talent naturel, une voix sensuelle et précieuse, dont le propriétaire n’est autre qu’un fragile adolescent mancunien. Son duo avec Johnny Marr emmènera les SMITHS jusqu’à une pop limpide et décalée, mélodiquement irréprochable et toujours teintée par la morosité de MORRISSEY, s’affirmant déjà comme l’un des plus grands auteurs que la pop ait connu.




En 1987, c’est donc la rupture du génial tandem pour cause d’incompatibilité d’humeur... Cette rupture trouble terriblement MORRISSEY, et il avouera même quelques années plus tard qu’il pardonnerait tout si Johnny Marr revenait. Mais alors que les braises sont encore brûlantes, il décide de ne pas s’arrêter là et de continuer donc une carrière solo sans pour autant savoir avec qui il va s’acoquiner pour mettre en musique ses fabuleux textes. C’est alors que Stephen Street, aujourd’hui mentor de BLUR, se présente aux yeux de MORRISSEY comme l’homme de la situation. Il lui confie donc la composition et la production de Viva Hate - titre évocateur -, aidé également par le guitariste de DURUTTI COLUMN, Vini Reilly. Dès ce premier album, on commence à apprécier les qualités artistiques de MOZ, qui nous livre une pochette ornée de quatres portraits sombres et pensifs... une sincérité qui ne dénote aucunement avec Viva Hate , portrait d’un homme entre passivité et colère, entre Everyday is like Sunday et Suedehead. The Ordinary Boys, portrait drolatique de l’adolescence british et Margaret on the Guillotine, pamphlet meurtrier qui fait scandale, ne font que renforcer l’attitude cynique de MORRISSEY qui commence à voir ses singles et son album grimper dans les charts.




De 1988 à 1991, MOZ se contente de sortir une poignée de singles regroupés sur une compilation en 1990, “Bona Drag”. De l’ironico-égocentrique The Last of the famous International Playboys au sautillant Interesting Drug en passant par le troublant November spawned a Monster et l’attachant Hairdresser on Fire, cette compilation regorge d’excellents titres presque tous classés au sommet des charts... MORRISSEY a donc acquis un statut qu’il n’a jamais eu avec les SMITHS, aussi bien en Angleterre qu’aux Etats-Unis. Mais Viva Hate semble bien loin et le besoin se fait sentir de passer le cap du second album. En 1991 sort donc Kill Uncle, précédé par le single Our Frank, un LP composé presque entièrement par un jeune écossais, Mark E. Nevin, qui a tenté sa chance en envoyant une cassette à MOZ, lequel a tout simplement repondu “perfect” sur une carte postale. Toujours coloré de cette eternelle tristesse propre à MORRISSEY, Kill Uncle se révèle être un album aussi désertique que mystérieux, où des influences rockabilly commence à apparaître (Sing your Life). La production de Clive Langer et d’Alan Winstanley est, par contre, d’une grande mollesse et ne parvient pas à installer une dynamique, pourtant présente sur scène, sur de nombreux morceaux. Malgré tout, la pochette nous présente un MORRISSEY apparement plus conquérant, les bras grands ouverts en signe de bienvenue (?).




Plutôt décu par l’accueil reservé à l’album (et notamment à la production), MOZ décide de repartir avec une nouvelle équipe assez inattendue. Alain Whyte (guitare), Gary Day (basse) et Spencer Cobrin (batterie) sont, en effet, les trois membres d’un groupe de rockabilly avec qui MORRISSEY s’entend merveilleusement bien. La raison de cette attirance réciproque vient simplement du fait que pour entretenir de bonnes relations avec MOZ, il ne faut surtout pas aimer ce qu’il fait et donc supprimer cette barrière entre le “novice” et le “maître”. Pour épauler Alain Whyte (le principal compositeur), Boz Boorer vient compléter le trio et en 1992, sort Your Arsenal. L’évenement marquant de cet album, plus qu’honnête pour de jeunes compositeurs depuis peu confrontés à la pop, est bien evidemment le scandale provoqué par National Front Disco. Sans même avoir vraiment étudié les paroles (qui sont absentes de la jaquette), la presse crie au scandale, traitant MOZ de fasciste à la solde du National Front. Après coup, on s’apercevra que ce morceau parle simplement d’une mère attristée que son fils fasse partie du NF... En 1993, pas d’album officiel pour MORRISSEY, seulement la sortie un live enregistré au Zénith, Beethoven Was Deaf, devant 6500 personnes avec son nouveau groupe au complet. Un set de 16 titres dont la plupart tirés de Your Arsenal, avec des versions terriblement péchues de November spawned a Monster et National Front Disco. Après une tournée aussi impressionnante que les précédentes, MORRISSEY étant l’un des rares artistes pop anglais pouvant remplir des salles de 15000 personnes aux Etats-Unis, Vauxhall and I fait son apparition en 1994.




L’empreinte légèrement “balourde” qui teintait les morceaux de Your Arsenal n’a echappé à personne et les deux nouveaux compositeurs de MOZ ont besoin de crédibiliser une finesse qui leur fait souvent défaut. Vauxhall and I est la preuve vivante du talent de Whyte et Boorer, faconneurs de mélodies majestueuses et lyriques, réhaussées par les textes intimistes, douloureux ou épicuriens de MORRISSEY, étrangement impudique sur cet album. Now my heart is full, Lifeguard sleeping, Girl drowning et I am hated for loving en sont les plus frappants exemples, sans oublier la production de Lillywhyte, toujours à fleur de peau. Avec cet album, la carrière de MORRISSEY prend un nouvel essor artistique, les chroniques dithyrambiques de la presse y sont sûrement pour quelque chose mais on sent l’homme capable de se dévoiler, sa voix est devenu olympienne, ses intonations attirantes...




Début 1995 voit la sortie d’un single Boxers, précédant la compilation The World of Morrissey, principalement composée de singles, de faces B et de quelques inédits. Boxers nous fait une bonne impression, dans la continuité de Vauxhall and I, peut être plus frivole mais toujours aussi bien ficelé. Malgé tout, le véritable évenement de cette année reste dans l’attente du nouvel album prévu pour fin 95. Le 28 octobre sort donc Southpaw Grammar, un LP dont MORRISSEY avait fait une description s’eloignant totalement de l’introversion acoustique de Vauxhall and I. MOZ a donc décidé consciemment de se tourner de nouveau vers une musique plus electrique, plus tranchante, résolument dirigée vers la scène et toujours entre les manettes de Lillywhyte. Ses textes retrouvent leur double-sens parfois incompréhensible et sa voix rocailleuse s’adapte parfaitement à la situation. Les rythmés Dangenham Dave et Boy racer seront les deux premiers singles de Southpaw Grammar, constitué de huit morceaux dont presque aucun ne dévie de la ligne imposée par MOZ.




Pour résumer la carrière de MORRISSEY en quelques mots, on parlera de cinq albums, de quelques dizaines de singles et d’une relation très spéciale avec son public. En effet, on n’écoute pas MOZ comme on écoute les WANNADIES ou MENSWEAR, SHED SEVEN ou BLUR. On est envahi par le personnage, par l’attitude, par l’espèce de magnétisme émanant de cet esthète torturé. Malgré leurs énormes qualités, Martin Rossiter et Johnny Dean sont à des années-lumière de MORRISSEY. Son charisme est flamboyant, sa voix grandiose... Trop souvent renié par les nouveaux groupes cités ci-dessus, MOZ représentera néanmoins à jamais l’image d’une pop anglaise élégante et racée, érotique et ambiguë. Alors arrêtons de nous enflammer pour de jeunes groupes talentueux, il est vrai, mais loin d’être matures, et redécouvrons le formidable répertoire de MORRISSEY, en attendant le prochain album, The Last of the Famous... ?

Fabien Cavanna