Me


Tous Ego




Le 6 novembre 1993, à la sortie de La Cigale, les conversations allaient bon train. Que retenir de la dernière soirée du Festival des Inrockuptibles ? Le concert de Divine Comedy - Neil Hannon, son costard impeccable, ses facéties à base de vin rouge, ses reprises inoubliables de Talk Talk et du Jackie de Brel -, assurément. Dominique A, vedette surprise de la soirée, sans doute. Les Tindersticks, pour dire qu’on y était (ils nous offriront des performances autrement plus passionnantes par la suite...). En tout cas, un groupe totalement inconnu déchaîne les passions : Me, une demi-douzaine d’Anglais et d’Irlandais qui ont ouvert la soirée. Plus proche d’un happening que d’un concert pop traditionnel, leur prestation n’a laissé personne indifférent, le chanteur commençant par faire de grands bonds sur la scène, recouvert d’un sac de couchage, se coupant ensuite les cheveux pour protester contre la guerre civile en Irlande et finissant en slip, hurlant “Stop the war”.




Si l’on ajoute qu’une danseuse elle aussi peu vétue arpentait le devant de la scêne, au-dessus des deux videurs impassibles (ou, du moins, tentant de le rester), on comprend que ce concert ait marqué les esprits. Plus tard dans la soirée, on croisera le chanteur avec des ailes dans le dos (cousues sur son blouson). Et en sortant de La Cigale, on assistera à une démonstration très particulière de marketing direct : la tribu Me au grand complet exécutant une danse sauvage devant son van en brandissant des copies vinyles de son album. Un album acheté à leur stand et dont l’écoute nocturne, un peu plus tard, divisera autant que le concert : énième disque de pop anglaise pour les uns, chef d’oeuvre totalement enthousiasmant pour les autres. Aujourd’hui, les autres, laissant les uns à leur mésestime et à leur compréhension, ne se lassent pas de réécouter Harmonise or die, ses harmonies vocales de la mort, ses mélodies capiteuses, ses arrangements célestes. Un disque proprement miraculeux, preuve que le talent, l’imagination et l’enthousiasme peuvent parfois compenser le manque de moyens.




Malgré une distribution française faisant suite à leur concert parisien, l’album se retrouvera vite abandonné dans les bacs à soldes. Quant aux deux Eps qui suivront, Victims of testosterone (sic) et 21st century fossils (re-sic), ils rencontreront bien peu d’échos, d’autant que le durcissement du ton et du son sur la plupart des morceaux déconcertera les amateurs de la pop fruitée et rêveuse de Dreambleeding et Yousong. Des morceaux que l’on commençait à connaître par coeur... heureusement a fini par arriver le second album de Me, Fecund haunts, plus subtil et expérimental que son prédécesseur, mais finalement tout aussi enchanteur (on s’attend à rencontrer Merlin au détour d’un refrain). Malheureusement, à l’heure où nous écrivons ces lignes, il a été bien peu vu chez nos disquaires favoris. Espérons que des gens bien intentionnés et bien placés sauront réparer cette injustice et que ce groupe hors du commun trouvera enfin la place qu’il mérite. C’est-à-dire tout en haut.

Me, Fecund haunts (Pop God/PIAS)


Vincent A.