Dominique A

A Typique

La fossette et Si je connais Harry avaient révélé un artiste particulièrement original et attachant. Avec son troisième album, La mémoire neuve, DOMINIQUE A atteint une pleine maturité artistique et gagne sa place parmi les grands de la chanson française, tout en affirmant son identité propre.
Maintenant parfaitement à l’aise sur scène (avec son groupe, en duo avec sa compagne Françoiz ou, encore mieux, seul), il semble s’être définitivement débarrassé de cette image d’introverti tourmenté qui lui collait à la peau à ses débuts.
Chaleureux et sincère, Dominique A parle un peu de lui et des autres, des faussaires du métier et de la vie qui rend modeste, entre souvenirs amusés et coups de gueule légitimes.
Dominique A ou la victoire de la musique sur l’hypocrisie.




Variété, pop, chanson, rock français ?
Dans la variété, tout va dans dans le même sens, le sens de plaire. Il y a une démagogie à laquelle la chanson n’a pas besoin de faire appel. Je ne sais pas trop où peut se situer la barrière... peut-être, justement, dans cette volonté de plaire à tout prix. La façon de faire, aussi ; la variété joue davantage sur la répétition des choses et ne se préoccupe pas du fond. Entre chanson et pop... En France, la notion de chanson est toujours rattachée à celle de texte. Mais par essence, la chanson, c’est de la pop, quelque chose d’immédiat, de direct. Dans la pop, ce sont la mélodie et les harmonies qui sont mises en valeur, de façon plus évidente que dans la chanson. Je crois quand même que les deux se rejoignent. C’est notamment le cas chez Philippe (Katerine). Mon premier album passait à la fois chez Lenoir et Foulquier ; certains appelaient ça de la chanson, d’autres de la pop. Mais à mon sens, La Fossette est un disque de rock... dans la démarche, c’est-à-dire quelque chose qui provoque, qui va à l’encontre, qui bouscule... Et des disques de rock, je n’en entends pas beaucoup ces temps-ci.


La nouvelle scène anglaise
Je vais peut-être passer pour un con anglophobe, mais j’ai vraiment l’impression qu’il y a une grosse arnaque au niveau de la pop anglaise. Il me semble que les gens qui sont sur le devant de la scène profitent d’une situation, d’a priori très positifs du public. On a une exigence au niveau des groupes français qu’on n’a pas avec les anglo-saxons parce qu’ils sont anglo-saxons. Il y a des exceptions brillantes, comme PJ Harvey ou Portishead - qui, comme par hasard, sont les artistes les plus fédérateurs - mais sinon... Supergrass s’en tire bien, ils ont vraiment une fraîcheur, une attitude qui contrastent avec les autres. Ne serait-ce que le fait de dire “Merci !” et non “Thank you !” devant un public français, ça dénote un esprit non colonialiste dont la plupart des autres groupes n’ont même pas l’idée. Ils arrivent, “Thank you”, ils baragouinent cinq minutes... Ca me fait chier, j’ai envie de leur dire : “Ta gueule ! Chante, à la limite, mais ferme-la !” Alors que des tas de groupes français rament comme des fous et ne sont pas accrédités parce qu’ils sont français. Les disques devraient se suffire à eux-mêmes. Quand j’entends par exemple le Married Monk, je me dis que les gens vont bien y reconnaître un vrai talent... Eh non, il faut un discours autour. La presse française préfère ne pas aborder le sujet avec des artistes qui marchent un peu, comme Philippe ou moi, sans doute de peur qu’il y ait débat.


Le clip du Twenty-two Bar
Il y avait eu une vingtaine de projets. Trois fois sur quatre, Françoiz et moi, nous nous retrouvions à danser sur les tables... (sourire) La chanson étant déjà très narrative, il était difficile de ne pas être redondant. Il a fallu choisir le moins mauvais projet. Le réalisateur est l’un des fils de Jacques Higelin, quelqu’un de vraiment très bien. Il avait l’idée du plan unique et du métronome, qui me plaisait assez. De toute façon, on ne pouvait plus attendre, il fallait le faire avant l’été. Je ne me sens pas trahi. Je le trouve marrant, un peu anodin, anecdotique. Vincent (de Lithium) et moi avons dû batailler auprès de Virgin pour imposer ce clip. Eux auraient préféré quelque chose d’un peu plus... captivant (rires). De toute façon, pour moi, le clip c’est de la pub. Certaines sont agréables, d’autres moins.


Les fans
Globalement, je trouve mon public plutôt sympathique, gentil. Evidemment, il y a toujours quelques emmerdeurs. En général, ce sont ceux qui, après le concert, viennent te demander si tu peux leur jouer des morceaux. Je peux le comprendre, mais souvent ils insistent. Un jour, une fille m’a dit (prenant un air pénétré particulièrement comique) : “Tu te dois à ton public.” Je lui ai répondu : “Oui, c’est vrai, tant que je suis sur scène.”


Miossec
Philippe, on se connaît depuis longtemps. Avec Miossec, on a appris à se connaître (rires). Ca va, ca se passe bien. Une fois, ils sont allés un peu loin, c’était à Evian, ils étaient franchement lourdingues. Mais c’est des chouettes gens. Je suis fan de l’album, et donc plutôt content de bien m’entendre avec Miossec. C’est un mec très gentil, très doué, mais en même temps assez féroce, et il y a une barrière qui tombe quend il boit un petit peu. Là, il se laisse aller. En fait, ce qu’il y a de bien avec lui, c’est que tout peut se dire. Il a une trentaine d’années, et je crois que ce qui lui arrive là, il ne l’attendait plus vraiment, un peu comme moi quand j’ai enregistré La Fossette, même si j’étais plus jeune. Souvent, il me dit : “On a quand même de la chance de faire ça. J’aimerais que ça dure le plus longtemps possible.” C’est assez émouvant de le voir tout content de cette chance. Ca fait plaisir de voir des gens comme ça.



Souvenir de concert
J’ai toujours joué pour des gens attentifs, qui généralement connaissaient ma musique. Sauf une fois ; avec Françoiz, nous avons fait l’ouverture d’une salle de concert, en première partie de Noone Is Innocent et Billy Ze Kick... C’était glorieux. On jouait devant des gamins de quatorze ans qui, pour la plupart d’entre eux, allaient à leur premier concert, tout fous de voir Billy Ze Kick... On a pris un sacré coup de vieux ! Une expérience que je ne souhaite pas renouveler tous les jours (sourire). J’étais en face de gens qui n’étaient pas méchants, qui étaient venus là pour s’amuser... mais qui n’en avaient rien à foutre. Pour eux, ce qu’on jouait, c’était Edith Piaf, alors qu’ils attendaient Billy Ze Kick. A un moment donné, vraiment déstabilisé, je leur dis, entre deux morceaux : “Merci... les jeunes.” Et j’entends : “De rien, Papa.” Là, tu redescends de ton nuage.


Bruxelles
Il s’agit d’un texte que nous a envoyé Dominique à l’été 95. Françoiz et lui habitent désormais Cherbourg (NDLR)
J’avais parlé de Bruxelles au magazine Les Inrockuptibles, en des termes bien choisis dans le petit lexique de la déprime. Il fallait assumer. J’ai un peu rasé les murs, après coup, en Belgique, et on m’en a parlé, je me suis donc justifié ; première chose, rassurer les amis d’ici (en gros : “il pleut, c’est moche, ça n’est pas lié à vous”). Ils comprirent bien. “Pour un Belge, c’est dur, ici, alors pour un Français...”, paroles réconfortantes d’un Bruxellois d’origine.
Ici, je n’ai pas de papiers, ma compagne non plus, ça n’arrange rien. C’est l’Europe, oui, mais l’Europe a encore besoin de papiers, que je sache. Quand on ouvre les frontières, ce n’est pas tant les personnes qui circulent que les marchandises. D’où moult excès douaniers, toujours (En 1995, les cheveux longs font toujours recette à la douane).



“Bruxelles, ma belle”, dit la chanson (Dick Annegarn). On ne doit pas porter les mêmes lunettes.
Alors, ici, quoi ? C’est laid, triste, et point ? Mais non... Ici, on se parle facilement, les bars sont formidables, les concerts nombreux, les revues musicales gratuites. Vous ne connaissez pas le marché du jeu de balles, ses vinyles à 1 F, ses soupes au cerfeuil. La campagne est proche, le rythme de vie est paisible, provincial en diable. Manque un fleuve. Comme à Liège, cent kilomètres plus à l’est, ville exceptionnellement belle et conviviale.
On va s’en aller. Ici, j’aurai au moins bien travaillé. Et j’aurai vu la France et les Français avec un autre regard. Rien de mieux qu’un petit passage à l’étranger pour se rendre compte de l’incommensurable vanité du Français. A part ça, et quelques belles rencontres ici... Je voulais dire deux-trois choses positives sur la ville.
Sans plus.



Propos recueillis
par Fabien Cavanna
et Vincent A
Photos : Frédéric Fougère
Vincent A.