Cornershop


Bal Perdu




A part la musique de Cornershop, je ne vois rien de passionnant en Angleterre.” Le compliment venant de Sonic Youth, il y a de quoi être flatté. Et même si Cornershop n’est peut-être pas (ou plus) le seul groupe britannique digne d’intérêt, il reste bien l’un des plus originaux... et des plus intègres. Abandonnant un peu les dérives noisy de son premier album Hold on it hurts, le combo s’est rapproché de l’Inde et de ses rythmes hypnotiques sur le nouveau Woman’s gotta have it, version très personnelle et enthousiasmante de la “sono mondiale”. A l’occasion d’une tournée française où le groupe a conquis - et même fait rentrer en transe - un public qui, dans sa grande majorité, le découvrait, le doux hindou T.Singh fait l’inventaire de son magasin.




L’évolution depuis les débuts du groupe
C’est une sorte de développement naturel. Nous avons appris à utiliser la technologie. Et à force de jouer, on s’améliore forcément. Tous les éléments présents sur le dernier album se retrouvaient déjà dans le premier ep, In the days of Ford Cortina : deux langues différentes, des influences orientales, des samples, une grande variété de thèmes, et pas seulement des préoccupations politiques. Ce qui a changé, c’est que pour Woman’s gotta have it, nous avions une plus grande maîtrise du studio, nous savions exactement ce que nous voulions.




La Britpop, l’anglocentrisme
ça craint vraiment, c’est très triste. Mais nous aussi, à nos débuts, nous avons été étiquetés. Des expressions stupides ont été utilisées pour cataloguer notre musique. Nous nous foutons complètement de cette attitude de facilité de la presse anglaise. Je crois que la Britpop est vraiment nocive car ce n’est que la régurgitation de la musique qui se faisait il y a dix, quinze ou vingt ans... Il n’y arien d’original, rien de nouveau. Si au moins les groupes essayaient de mélanger le rock d’il y a dix, quinze et vingt ans, ça pourrait donner un résultat intéressant. Malheureusement, on se contente de prendre un groupe du passé et de le singer complètement, jusqu’aux chaussures. Ce n’est pas très honnête. Maintenant, l’Europe se moque de l’Angleterre au lieu de respecter ses groupes, et c’est normal.




Les noms de villes figurant après chaque titre sur les pochettes
On fait cela depuis le début. En général, c’est pour indiquer l’endroit où la chanson a été écrite. Et si tu connais la ville - par exemple, Wolverhampton -, tu peux avoir une vision différente du morceau. Tu le comprendras mieux... ou moins bien, ce n’est pas un problème. En fait, c’est surtout pour intriguer les gens. Ca ajoute une dimension supplémentaire aux chansons.




La chanson en français sur le dernier album
A l’origine, My dancing days are done (Mes jours de bal perdus) était en anglais. Elle a ensuite été traduite en français, en allemand, et dans toutes les langues que nous connaissions, car nous pensons qu’il est bon de mélanger des langues différentes. Nous aimions tous beaucoup la version française, c’est celle qui sonnait le mieux. Alors nous l’avons gardée ; la chanson est en français sur tous les pressages.




Le succès
Nous sommes relativement connus au Japon, et nous avons de plus en plus de succès aux Etats-Unis. Là-bas, nous sommes sur le label de David Byrne, et l’album devrait sortir en janvier 96 ; Wog paraîtra en single avant. La situation commence donc à devenir bonne. En France, nous étions distribués par Média 7 mais ils ne faisaient vraiment pas du bon travail. Je ne recommanderais ce label à personne. Nous sommes donc passés chez PIAS, des gens qui s’intéressent vraiment à la musique, comme notre label anglais WIIIJA. C’est une bonne chose, car nous avons beaucoup d’amis en France, qui ont organisé cette tournée (celle d’octobre 95) et qui forment un petit réseau de fans enthousiastes. Même si nous ne vendons pas énormément de disques ici, c’est réconfortant de savoir que nous avons des personnes derrière nous et que ce que nous faisons n’est pas totalement vain.




Les thèmes des chansons
Elles évoquent plus la vie quotidienne que de grands thèmes politiques. Je crois que c’est bien que les titres soient assez vagues ; ainsi les gens trouvent un peu ce qu’ils veulent dans les chansons, ils ont leur propre opinion sur ce dont elles parlent. Elles restent ouvertes. C’est mieux de pousser les gens à se poser des questions, à réagir, que de tout leur servir sur un plateau. Je préfère être un peu obscur que de chanter des chansons d’amour qui ne permettent qu’une seule interprétation. Quel intérêt ? Tout le monde le fait...




Les structures des morceaux
J’essaie de varier un maximum. Parfois, c’est simplement couplet, refrain ; parfois, c’est plus libre. Tera mera pyar, sur le premier album, parle d’une vedette de cinéma. C’est juste un texte lu sur un fond instrumental. Sur Inside rani, il n’y a qu’un peu de chant au début. Le reste est instrumental. Le dernier morceau que nous avons fait utilise beaucoup de technologie, et c’était un travail plutôt intéressant... A Bordeaux, quelqu’un nous a dit que la musique sonnait bien mais qu’elle était trop variée. Pour moi, c’était le plus grand compliment que l’on pouvait nous faire.




La situation en Angleterre
Elle a tendance à empirer. Beaucoup d’Asiatiques vivant en Angleterre s’en fichent. Tout ce qui les intéresse, c’est de gagner de l’argent, de quelque manière que ce soit, ce qui pose problème. Pour le moment, je ne vois pas de solution. Les Conservateurs sont toujours aussi nuls. Les gens en Angleterre sont vraiment stupides, ils ne tirent pas les leçons du passé. Et il y a beaucoup de tensions dans les grandes villes. Mais individuellement, je reste optimiste. De toute façon, tu n’as pas trop le choix. Tu ne peux pas abandonner.




Propos recueillis par Vincent A.
Merci à Mad’s Collectif (St Etienne)