Cake
Deadpan Cake


Etes-vous surpris par votre succès aux Etats-Unis et en Europe ?

- (Victor) Oui, nous sommes assez surpris. Nous espérions bien que ça finirait par arriver, mais nous ne savions pas quand. Nous avons donc effectivement été pris un peu par surprise...
- (Todd) Cela fait près de trois ans que nous tournons. C'est une bonne surprise, mais nous avons quand même travaillé dur pour y parvenir. C'est quelque chose que nous attendions, et nous avons fini par y parvenir.
- (V.) On pourrait avoir l'impression que nous sortons de nulle part, que nous avons un succès soudain, mais ce n'est pas le cas.

Pourquoi cette idée d'un yuppie qui court jusqu'à la mer dans le clip hilarant de The Distance ?

- (T.) Nous avons vu de nombreux réalisateurs qui avaient tous des idées autour d'une course de voitures, puisque c'est ce dont parle la chanson. L'un nous a proposé cette idée d'un businessman qui devient fou, traverse la ville en courant, puis la forêt, et se jette finalement dans l'océan. Nous aimions bien ça. Nous avons eu un très bon réalisateur et le résultat nous convient parfaitement.
- (V.) Finalement, cela colle assez bien aux paroles de la chanson, mais sans que ça les traduise en images de façon trop évidente.
- (T.) La métaphore de la course de voitures pour la compétition dans la vie quotidienne est assez claire. Nous voulions seulement ajouter un petit décalage par rapport aux paroles, cela nous semblait plus intéressant qu'une simple illustration.

Vous mélangez allègrement les styles musicaux et les époques. N'aviez-vous pas peur au départ que vos chansons n'intéressent aucun public ?

- (T.) Nous venons de Sacramento, et quand nous avons débuté, nous donnions des concerts à Sacramento et San Francisco. Dans chaque nouvelle ville où nous jouions, il n'y avait qu'un petit nombre de spectateurs, et puis à chaque fois que nous y retournions, ça augmentait, grâce au bouche à oreille. Ca c'est passé comme ça jusqu'à ce que nous obtenions un contrat pour sortir un album dans tout le pays. Alors nous avons commencé à tourner dans un van pendant deux ans. Dans certaines villes, nous jouions devant des salles vides, dans d'autres devant plusieurs centaines de personnes. Notre croissance a donc été très organique, très lente, le succès n'est pas arrivé du jour au lendemain.
- (V.) Nous n'avons jamais beaucoup réfléchi au fait que nous pourrions avoir du mal à trouver un public pour nos chansons. Nous nous efforcions juste de jouer le mieux que nous pouvions, sans attendre forcément des retours immédiats.
- (T.) Nous avons joué dans de gros festivals, et c'est nous qui avions le moins de matériel : deux amplis guitare, une trompette, une basse et une petite batterie. Sur scène nous paraissions minuscules à côté des autres groupes qui avaient d'énormes amplis et un son beaucoup plus puissant que le nôtre. Nous jouions entre deux groupes très rock, devant 5 ou 10000 gamins en sueur, surexcités, en colère. Dans ces cas-là, nous avons effectivement un peu peur que notre musique ne soit pas acceptée. Mais c'était purement physique ; émotionnellement, c'était pour nous comme un concert ordinaire.

Vous considérez-vous comme un groupe drôle et léger, à la différence de la plupart des groupes américains ?

- (T.) Nous faisons les choses avec le plus grand sérieux. Il y a dans nos textes de l'ironie, de la satire, et un sens de l'humour très macabre. Nous jouons nos chansons d'une manière deadpan, pince-sans-rire. Quand nous disons quelque chose, c'est que nous le pensons, c'est sérieux. Nous ne sommes pas qu'un groupe léger et amusant. Nous avons joué une fois entre Korn et les Deftones, deux groupes sombres et bruyants ; ça reste l'un de mes concerts préférés ! Nous nous sentons extrêmement concernés, même dans les moments légers. Cake n'est pas un groupe de rigolos et nous tuerons quiconque pense cela !

Pensez-vous que vos chansons seraient différentes si vous veniez d'une grande ville au bord du Pacifique, comme San Francisco ou Los Angeles, et non de Sacramento ?

- (T.) La scène de Scaramento est très réduite. On peut donc rester soi-même, on en ressent pas la pression de faire partie d'un quelconque mouvement. Il n'y en a pas de vraiment fort, et on peut ainsi trouver sa propre voie. Quand on débarque à San Francisco, c'est très différent : dans des grandes villes comme ça, il y a énormément de bonne musique, le sentiment d'appartenance à une scène est très sensible, les goûts plus affirmés. Il y a plus de loisirs, de culture... Il est finalement plus facile de faire quelque chose de personnel, d'original à Sacramento.
- (V.) La vie à Sacramento est vraiment très bon marché. On peut ainsi passer plus de temps à jouer de la musique.

Comment se passe l'écriture et l'enregistrement des chansons ?

(T.) Une grande partie des chansons de Fashion Nugget et de Motorcade of generosity, notre premier album, sont l'oeuvre de John McCrea, notre chanteur, et il les jouait déjà depuis plusieurs années, dans différents groupes et dans différents styles. Avec Cake, ces vieilles chansons ont pris une direction qu'elles n'avaient jamais prise auparavant. Concernant les chansons que nous avons écrites ensemble, John apporte la mélodie et les paroles et, à nous cinq, nous cherchons des arrangements, un son, un style. Ca marche comme ça, chacun apporte sa contribution et cherche à imposer ses idées. C'est une lutte permanente, une compétition acharnée, sans pitié. Mais l'important, c'est que le résultat soit bon. De toute façon, on ne peut pas se permettre de discuter sans arrêt quand on paie une heure de studio 50 $ ou plus. Il faut prendre des décisions rapides. C'est un gros problème car nous avons toujours trop d'idées intéressantes pour les chansons. A un moment, il faut s'arrêter, en garder quatre ou cinq... et payer la note.

Etes-vous vraiment fatigués du rock, comme vous le prétendez parfois ?

(V.) Pour moi, nous sommes un groupe de rock. Nous essayons d'échapper aux classifications, mais à la base, c'est ce que nous sommes. Je ne pense pas en avoir assez du rock, j'en écoute encore beaucoup, et je trouve qu'il y a aujourd'hui des groupes très intéressants.
(T.) Nous avons un chanteur qui ne chante pas vraiment, et un guitariste qui ne se contente pas de frapper violemment ses cordes. Nous ne construisons pas un mur de son, chaque instrument est au contraire bien distinct, alors que le gros rock bête élève un mur de bruit, où l'on ne peut pas différencier les éléments. Quand on voit Cake sur scène, on peut entendre l'espace à l'intérieur de la musique, entre les instruments. C'est brut, sans fioritures. Et il y a plus de pression, car si on fait une erreur, on s'en rend compte. L'auditeur prendra cela pour de l'improvisation, mais nous n'improvisons pas. Nous jouons toujours pareil, nous essayons d'être rigoureux. Mais nous restons sans doute un groupe de rock, qui essaie seulement de faire des choses plus évoluées que du bruit.

Aimeriez-vous tenter d'autres aventures musicales en-dehors de vos albums ?

(T.) Nous commençons à vendre notre musique à une chaîne de fast-food américaine. Nous réfléchissons à leurs offres. (rires)
(V.) Nous sommes ouverts à tout. Ca nous plairait de composer des chansons et des musiques pour des films. Mais ce sont des choses qui se font assez lentement. Nous attendons des occasions, mais nous ne courons pas après.
(T.) Nous prenons déjà beaucoup de plaisir avec Cake. Et puis nous avons des enfants, des animaux, des plantes à arroser, du gazon à tondre, un jardin à cultiver... Faire de la musique et la vendre nous occupe déjà beaucoup, et nous essayons de trouver le temps de faire autre chose à côté.

Comment voyez-vous le futur de Cake ?

(T.) Nous sommes plutôt optimistes. Les jeunes Américains commencent à écouter des choses plus variées, tous les groupes ont leur chance aujourd'hui. Les gens me semblent beaucoup moins sectaires. Certes, toute cette vague ne durera pas éternellement, mais nous devrions encore pouvoir en bénéficier. Je suis donc plutôt confiant pour notre avenir.
(V.) C'est le public qui décide. Notre avenir est entre leurs mains, on en peut donc pas trop savoir. Propos recueillis par Vincent A.